Les impressions d’un Tunisien à Vancouver
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Une visite à Vancouver vous fait prendre conscience de l’énorme gouffre qui sépare la Tunisie du monde véritablement civilisé dans plusieurs domaines.
Par Dr. Maher Bahloul *
A l’aéroport de Vancouver
Dès l’arrivée à l’aéroport international de Vancouver au Canada, on est frappé par l’agréable accueil des officiers de la police d’immigration et de la douane. Qu’il soit timide et rétréci ou large et chaleureux, le sourire sincère de ces officiers égaie votre journée. Même si c’est la première fois ou vous foulez le sol canadien, cette première rencontre avec les officiels du pays vous donne la sensation d’être dans un chez soi.
Les bus sont fréquents et arrivent à l’heure.
Prendre le bus à Vancouver
Le transport en commun à Vancouver est admirable. Les bus sont non seulement fréquents et arrivent à l’heure, mais disposent aussi de tous les services. Si vous êtes en fauteuil roulant, le bus est généralement équipé pour répondre à vos besoins et à rendre votre voyage aussi confortable et facile que possible. Ils sont équipés d’un système hydraulique permettant aux conducteurs de rabaisser le bus afin de réduire l’écart qui les sépare du trottoir. Une passerelle automatisée est alors activée pour permette l’accès en douceur du fauteuil roulant.
Une passerelle automatisée est activée pour permette l’accès en douceur du fauteuil roulant.
À l’intérieur du bus, les deux premières rangées de sièges sont réservées pour les personnes âgées, aux jeunes mamans avec poussettes et enfants, ou aux personnes handicapées.
Le souci de sécurité est poussé à l’extrême puisque le conducteur doit s’assurer qu’une chaise roulante ou une poussette est bien amarrée avant de démarrer. Le signal vient généralement des passagers eux-mêmes. «Les freins sont activés», déclarent-ils; suite à quoi, le conducteur quitte la station, rassuré que tous les passagers à bord sont en sécurité.
Parfois, dans les heures de pointe, tous les sièges peuvent être occupés. Néanmoins, dès qu’une personne à besoins spéciaux monte dans le bus, les passagers qui ont occupé les sièges réservés se mettent immédiatement debout et cèdent la place. Ils l’aident à s’installer.
Les personnes à mobilité réduite à Vancouver sont traitées avec beaucoup de respect et une attention particulière qui est vraiment frappante. Ainsi pour accéder ou quitter le bus, le conducteur informe tous les autres passagers de patienter afin que ces personnes puissent être servies en priorité.
A Vancouver les distances sont grandes et nombreux habitants utilisent le vélo pour se déplacer. Il est possible pour les longs trajets de prendre son vélo en bus. Plusieurs autobus de la ville sont équipés d’un porte-vélos placé à l’avant de l’autobus. Les cyclistes sécurisent leurs vélos dans le porte-vélo avant de prendre le bus. Cette opération prend 10 à 15 secondes, et les cyclistes habitués procèdent avec habileté et rapidité. Quand ils arrivent à leur destination, ils récupèrent leur vélo toujours avec la même rapidité.
Que vous soyez sur une chaise roulante, sur une bicyclette, avec une poussette ou avec des béquilles, le transport en commun à Vancouver est organisé pour répondre à vos besoins.
Les conducteurs de bus se montrent accueillants et serviables.
Le respect du citoyen
Comme pour les officiers de la douane, les conducteurs de bus se montrent accueillants et serviables. La ville est ainsi faite. Tous les jours en me rendant à mon travail, je suis agréablement surpris par le sourire de ces conducteurs et les signes de tête amicaux avec lesquels ils vous accueillent dans le bus. Réciproquement, les passagers échangent des «good morning» en accédant au bus et des «thank you» en sortant.
Le paiement à l’intérieur du bus se fait par carte magnétique, et si une carte ne fonctionne pas le conducteur essaie de comprendre et résoudre le problème. Jamais je n’ai assisté à des rejets ou à des disputes. Jamais je n’ai entendu un langage ordurier, ni une insulte ni des échanges grossiers.
A Vancouver le piéton est roi. Les trottoirs sont larges et propres. Les passages pour piétons sont équipés de minuteries. Pour traverser une route, vous appuyez sur le bouton et, quelques instants plus tard, un feu rouge s’allume et le flot de voitures s’arrête pour vous donner la priorité de traverser. Dans les petites rues sans feux de circulation, les automobilistes presque instinctivement cèdent le passage aux piétons.
Bref, je vis dans une grande ville, très étalée, très belle, très civilisée et je n’éprouve aucun besoin d’acheter une voiture. Prendre le bus avec le reste des habitants de cette ville, ou flâner dans ses espaces publics, est un plaisir renouvelé tous les jours.
Le déplacement se fait avec une aisance exceptionnelle.
Une ville en damier
La ville de Vancouver est tracée en damier parfait. Les avenues nord-sud sont numérotées, et les avenues est-ouest sont nommées. Le déplacement se fait avec une aisance exceptionnelle. De plus les perspectives sont dégagées ce qui rajoute une touche à l’exceptionnelle beauté de cette ville.
Ainsi, ou que vous soyez, vous avez presque invariablement une vue dégagée sur la montagne ou sur la mer. Un urbanisme conçu à la perfection rendant la vie agréable et le transport facile.
Il n’y a pas de contraste plus grand qu’avec ce qu’on peut voir et vivre dans mon pays, la Tunisie, ou l’absence d’urbanisme, l’anarchie dans la construction et la spéculation immobilière ont étouffé et enlaidi toutes nos villes.
Comment peut-on concevoir le tourisme sans urbanisme? Une question à poser à tous nos responsables.
De nombreuses vagues d’immigration ont ponctué l’histoire de la ville.
Une société multiculturelle
Vancouver est une ville cosmopolite et multiculturelle. Les Européens s’y sont installés en grand nombre des 1862 et la ville s’agrandit rapidement à la suite de la construction du Canadian Pacific, ligne ferroviaire transcontinentale, une construction qui a nécessité un grand nombre de Chinois et d’Amérindiens.
De nombreuses vagues d’immigration ont ponctué l’histoire de Vancouver dont la dernière en date fut à la suite de la rétrocession de Hong-Kong à la Chine.
La diversité ethnique de cette ville se reflète dans son folklore, ses restaurants ainsi que l’appellation de ses rues et quartiers. Ce qui est frappant et admirable est que cette intégration a tellement bien réussi qu’elle est devenue partie prenante de l’identité même de la ville.
En Tunisie, il faut commencer par améliorer l’accueil à l’aéroport de Tunis-Carthage.
Un exemple pour la Tunisie
J’ai parfois de la peine à comparer ma ville natale Sfax ou notre capitale Tunis à une ville comme Vancouver et ce à tous les niveaux. L’urbanisme nous a toujours fait défaut. Nos villes sont presque toutes sans plan d’aménagement véritable car de tels plans ne sont soit jamais approuvés, soit approuvés plusieurs années trop tard, une fois que le mal est fait et que l’anarchie a déjà occupé le terrain. On construit les habitations tout d’abord, on cherche à faire passer les routes ensuite. La conséquence de ce laisser-aller sont des villes mal conçues, mal organisées et très peu esthétiques, où le transport est difficile, où la première pluie crée le chaos et où bloquer une seule artère pour le passage d’un cortège officiel, comme souvent à Tunis, paralyse la ville toute entière.
En Tunisie les visages de nos conducteurs sont peu souriants, à la limite hostile, et les services publics peu fiables. L’usager d’un autobus est malmené de bout en bout : par les attentes sans fin, les comportements citoyens agressifs, les horaires jamais respectés, des espaces de plus en plus bondés. La priorité aux piétons est fictive, et que vous soyez âgé ou ayant des besoins spéciaux, les automobilistes et les services publics vous ignorent.
Pourquoi est-on arrivé à ce point de médiocrité dans le comportement et dans l’aménagement? Pourquoi ne pouvons-nous pas adapter nos moyens de transport aux impératifs de la vie moderne et pour le confort du citoyen? Pourquoi ne pouvons-nous pas tracer nos villes comme partout dans le monde civilisé en alignant nos routes, élargissant leur emprise, prévoyant des parkings et de larges trottoirs, des abris-bus, des espaces piétons? Pourquoi ne pouvons-nous pas enseigner à nos enfants dès l’école à être plus respectueux d’autrui et de la propriété publique ?
Une visite à Vancouver vous fait prendre conscience de l’énorme gouffre qui sépare notre pays du monde véritablement civilisé dans plusieurs domaines. Notre pays doit redoubler d’efforts car aujourd’hui nous n’avons plus d’excuses et le retard se creuse chaque jour davantage.**
* Visiting Associate Professor, College of Education, Department of Languages & Literacy Education – Vancouver.
** Je remercie mon collègue, ancien résident à Vancouver, Sadok Kallel, pour sa participation dans la rédaction de cet article.